Élisa et Jewel, un binôme à toute épreuves
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Interview réalisée par Pascal Bogaert
La famille Leorza comprend la maman, Claire, le papa, Laurent, la jeune Elisa (7 ans) et son petit frère Lucas (2 ans). C’est avec Claire et Elisa que nous avons rendez-vous et nous nous rendons vite compte qu’il faudrait ajouter comme membre de la famille, à part entière, Jewel, le chien d’éveil d’Elisa…
La famille habite Roquefort (Lot et Garonne) mais ils fréquentent Toulouse, notamment Elisa qui est inscrite à L’Institut des Jeunes Aveugles (IJA).
Claire nous explique le projet, Elisa est aussi présente durant l’interview.
Dans quel contexte cette « aventure » a-t-elle commencé ?
Claire : « Elisa était voyante à sa naissance. Elle a perdu la vue à 16 mois. On s’est trouvé démunis, particulièrement moi. J’ai cherché sur internet tout ce pouvait m’apporter des indications, des aides, tels que des témoignages… Je me suis inscrite sur Yahoo. Il y a un forum pour parents d’enfant déficients visuels et, l’été 2015, j’ai vu une annonce indiquant « nous somme une équipe de Lyon, nous aimerions voir l’influence des chiens sur les petits ». A ce moment-là, le papa n’était pas partant. Il faut dire qu’à ce moment-là, Elisa suivait une chimiothérapie, le parcours médical était lourd (d’ailleurs Elisa doit toujours se rendre pour un suivi médical à l’hôpital au moins tous les 6 mois et subir parfois des interventions chirurgicales). Un an passe et, en janvier 2016, l’annonce réapparaît : l’équipe manquait de cas pour l’étude. Comme il y avait moins de pression du côté médical, on se lance, et l’aventure commence en septembre 2016. J’étais toujours dans la logique de trouver ce qui peut être aidant, pour ma fille comme pour nous. Par ailleurs, j’aime les animaux et l’idée du chien, de la complicité qu’il peut avoir avec un enfant, semblait une évidence même si on ne savait pas où on allait. En effet Elisa avait beaucoup de difficultés. Cette aventure relevait du domaine de la recherche, donc, avec un protocole bien précis à suivre. Au pire cela n’apporterait rien, au mieux ce n’était que du positif. Le risque étant faible, le papa s’est laissé embarquer dans l’aventure.
Nous avons donc répondu à l’annonce. Une responsable de l’étude, Pauline (voir 1ère partie du portrait) est venue nous rencontrer afin de s’assurer que nous remplissions bien toutes les conditions pour faire partie du projet.
Elisa était encore bien petite, et lorsque, à ce moment de l’entretien je l’interroge sur la rencontre avec le chien, elle me dit que, pour elle, il a toujours été là, elle ne se souvient pas d’avoir vécu sans chien.
L’objectif initial consistait à favoriser son développement psychomoteur tout en l’incitant à explorer son environnement, c’était donc surtout sur le plan physique, pas tant pour le langage car Elisa parlait déjà. »
Elisa, peux-tu nous dire comment cela se passe aujourd’hui avec Jewel, ce que tu aimes faire avec lui ?
« J’aime prendre le train, aller à l’institut. Il dort au pied de mon lit. Dans les côtes, il me tire »
Quand on fait référence à son petit frère (voyant) qui joue avec Jewell et le chevauche comme un petit poney, Elisa rappelle : c’est « mon chien à moi ». Elle aime aller à l’institut avec lui. Il est « presque » un copain.
« Je le félicite quand il a bien travaillé. Il se met contre moi. Il est bien là. »
Claire : « il réclame des câlins à sa maîtresse, et j’encourage Elisa à lui en prodiguer. Quand Elisa va à l’école du village, il l’accompagne mais reste au portail. A l’institut des jeunes aveugles, Jewell est en permanence avec elle y compris à l’internat. »
Claire, pouvez-vous nous expliquer quelle place a Jewel dans la famille ?
La relation entre Jewel et Elisa est particulière évidemment ; elle n’est pas fusionnelle, mais chacun semble avoir besoin de l’autre, il est plus qu’un simple chien de compagnie. Quand Elisa se déplace, elle réclame Jewell et lui, il la suit. On dirait qu’il y a entre eux un besoin réciproque d’avoir la présence réconfortante de l’autre.
Jewel est le chien d’Elisa, on fait tout pour que la relation entre eux reste prioritaire.
Pas facile pour les autres membres de la famille de trouver leur place car Elisa est encore trop petite pour s’en occuper complétement, alors c’est moi qui gère la « logistique » (le coffre de ma voiture par exemple lui est dévolu !), mais, moi comme les autres, je dois respecter ce binôme Jewell-Elisa.
Les autres membres de la famille aiment bien Jewell et ils veulent toujours le caresser tant qu’il n’a pas son harnais.
Et en dehors de la famille, comment se passe la relation de Jewell avec le « reste du monde » ?
« Au-delà du cercle familial, Jewell attire beaucoup les jeunes et les moins jeunes, ce qui est une gêne, pour lui, pour Elisa et pour nous les parents car alors il est au travail, ce qui n’est pas évident à première vue.
Ce chien est un catalyseur social, il est comme une « bombe sociale » ironise Claire. Il attire les gens qui, du coup, s’intéressent à Elisa, laquelle prend la main dans la conversation. Nous avons bien vu la différence d’attitude avec, et sans, le chien dans des conditions identiques ! Sans le chien les personnes qui ne connaissent pas la déficience visuelle sont comme gênées par la cécité, elles ne savent pas comment et quoi dire ou pas… Lorsque le chien est présent les gens sont immédiatement attirés par le duo qu’ils forment avec Elisa, sans forcément se rendre compte qu’elle est aveugle et sont beaucoup plus spontanés !
Ce chien est une vraie vedette, j’ai souvent l’impression de me promener avec une rock star dans les rues ! »
Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste le travail de Jewell, comment ça se passe ?
« C’est bien ça, lorsqu’il a son harnais, jewell travaille, même si cela surprend souvent les gens lorsque je leur explique qu’il ne faut pas le caresser.
Jewell porte un harnais spécifique, avec deux poignées latérales. Elisa est encore trop petite pour prendre la « vraie » place du déficient visuel avec le chien, c’est-à-dire à droite du chien. C’est donc mon rôle, c’est notamment moi qui donne les ordres à Jewell. Elisa tient donc la poignée de gauche. Petit à petit, elle apprend, un jour elle sera à droite. Pour l’instant, c’est surtout moi qui guide le chien, j’assure l’intendance, et je répète bien souvent la consigne de respecter le fait que le chien soit au travail et donc de ne pas le caresser.
Lorsque les trottoirs sont en bon état, Elisa est à l’aise avec son chien, mais lorsque le sol est irrégulier, instable, c’est plus compliqué, mais c’est normal lorsqu’on n’y voit pas.
Aujourd’hui, Elisa sait donner certains ordres à Jewell : « aux besoins », « au pied », « assis », « couché », « hop hop » et bien entendu « harnais » : ce mot plonge Jewell dans une attitude qui rompt avec l’amusement pour être au travail, il est alors attentif, concentré, obéissant au moindre ordre qui lui sera donné.
Sans harnais, il peut retrouver le comportement de chien normal… particulièrement bien éduqué ! Il ne s’occupe pas des chiens dans la rue lorsqu’il a le harnais, il n’est pas tenté. Tout au plus, lorsqu’il ne l’a pas, il peut couiner mais garde ses distances. Le harnais le met en attente d’ordre, le simple fait de le lui poser change tout. De nature pépère, il devient encore plus calme. Il est très obéissant, il n’aboie quasiment jamais.
Les chiens d’éveil (comme les chiens guide) peuvent se rendre partout dès lors qu’il est au harnais… Il a du reste été accepté partout (avion, train, hôtel, restos, magasins…). Pour les consultations à l’hôpital le chien est présent (sauf pour hospitalisation bien entendu), il est toujours gentil.
Jewell considère vraiment Elisa comme sa maîtresse. Au bout de deux ans nous sommes retournés au centre à L’Isles-sur Sorgue et avons eu l’occasion de rencontrer la famille d’accueil qui avait fait la pré éducation de Jewell. Le chien n’obéissait plus aux ordres de son premier maître. Le transfert d’autorité s’était intégralement fait au bénéfice d’Elisa.»
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la manière dont se déroule ce projet ?
« Ce projet est tout de même assez contraignant puisque nous étions dans le cadre d’un protocole de recherche : la famille s’engageait sur un an à répondre mensuellement à des questionnaires ainsi qu’à réaliser chaque mois des clips vidéo (5 séquences de 10-15mn dans des conditions spécifiques). La 2ème année, on est passés de tous les mois à tous les 3 mois.
Cela n’a l’air de rien, mais cela prend du temps, car les vidéos ne sont que rarement bonnes du 1er coup, de quoi occuper une partie de nos week-ends !
A ces comptes rendus s’ajoutaient des visites de Pauline sur un week-end entier. Pauline est géniale, mais lorsqu’elle venait, on ne faisait que ça durant tout le week-end : questionnaires, vidéos… c’était intense.
Avec Jewell, j’ai trois enfants : on ne part pas en vacances ou on ne fait pas une virée sans le chien. Elisa s’en fichait au début, maintenant elle demande pourquoi Jewell ne vient pas.
Jewell a su se faire accepter de toute la famille, même du papa qui l’embarque dans son footing du dimanche ! »
Un jour Jewell aura le droit d’arrêter le travail, d’avoir une retraite n’est-ce pas ?
Après Jewell, Claire ne souhaite pas proposer tout de suite un autre chien à Elisa, afin qu’elle prenne conscience de ce que la présence du chien lui a apporté, ou pas, et que, ayant ensuite vécu « sans chien » elle puisse formuler sa demande en toute connaissance de cause. En effet, « aujourd’hui elle ne réalise pas la chance qu’elle a, pour elle, c’est normal d’avoir Jewell. »
Au-delà du projet actuel, vous pensez que ce protocole va, doit exister en tant que tel, vous encourageriez le développement des chiens d’éveil ?
La Fondation porte plusieurs projets : ils forment des chiens pour de nombreux handicaps qui touchent les enfants (ayant par exemple des troubles du spectre autistique, souffrant de dysphasie avec des troubles associés etc.).
« J’ai été attirée par l’expérience parce que je n’y voyais que du bénéfique, notamment pour amener Elisa à être davantage dans une logique du type « je me décentre de moi et je m’occupe de quelqu’un d’autre », c’est utile pour un aveugle. Jewell a des besoins, il n’est pas un jouet, en ce sens Elisa est, de fait, amenée à être moins « égo- centrée ». Elisa lui demande de temps en temps s’il a bien dormi. »
Elisa, comment tu te sens avec jewell ? Est-ce qu’il t’aide à être plus « audacieuse » ?
« Sans Jewell, je ferai moins de choses » répond-elle.
Par ailleurs Elisa entend l’incitation de sa maman : ne pas se contenter de rester dans sa zone de confort, mais bouger, aller de l’avant et Jewell semble tout indiqué pour l’y aider.
Ce chien a un impact sur l’inclusion d’Elisa. Les gens ont un regard bienveillant, depuis qu’elle est avec lui. Socialement, la relation aux autres est différente. La barrière n’existe plus. Le chien est un médiateur.
Claire : « Mieux Elisa vivra son handicap et mieux elle pourra passer à autre chose, pour ne pas être gênée par la question des relations aux autres. Sa personnalité fera le reste. »
Enfin Elisa précise « je pense que c’est bien que d’autres enfants aient des chiens ».